Aujourd’hui, direction la Station Uvale du Cours Pierre Puget où nous attend Yannis, son gérant. Au programme de la visite : de l’histoire, du talent et beaucoup de jus de raisin ! Prêts pour la dégustation ?
S’il y a de nombreuses institutions qui font partie intégrante du paysage marseillais, la Station Uvale du Cours Pierre Puget en est une digne représentante.
Tenue pendant 37 ans par sa tante, Maryse et son oncle, Eugène, Yannis a repris le flambeau il y a quelques mois de cela. Passé par le monde du prêt-à-porter puis celui de la carrosserie, il a pris la décision de perpétuer une tradition qu’il ne souhaiterait voir disparaitre pour rien au monde. Pour en apprendre plus sur ce lieu atypique, nous avons passé une matinée à ses côtés.
La Station Uvale : temple du bien-être !
« Mais qu’est-ce qu’une station uvale ? » est la première question que nous nous sommes posés en arrivant sur place. A l’écoute de nos interrogations, Yannis nous en dit plus. Elles sont apparues au milieu des années 1930 à Moissac dans la Tarn-et-Garonne : « Là-bas (à Moissac) on y trouve le petit Chasselas, un petit grain blanc qui est très gouteux, un des meilleurs raisins français ». Les stations uvales étaient des lieux où l’on pouvait boire du jus de raisin auquel on attribue des vertues bien-être hors du commun et qui ont eu du succès très rapidement : « De là, un uvarium* est créé. Un uvarium c'est un ouvrage en dur à la gloire du raisin. Ca a un tel succès que les stations uvales se développent un peu partout en relation avec l'uvarium de Moissac. On en trouve de Narbonne jusqu'à Marseille en passant par Arles, Nîmes... ».
* Lieu où l’on déguste des vins, des jus de raisins, des raisins, et où l’on peut éventuellement les acheter.
La dernière station uvale de France est à Marseille
Le temps suivant son chemin et les consommations évoluant, les stations uvales ont vu leur clientèle se réduire et, pour la plupart, ont dû fermer leurs portes : « Sur la Canebière, ils faisaient des nocturnes parce qu'ils étaient à côté du cinéma. Et il y a eu bien moins de fréquentation. En plus de cela, les années 30 concordent avec l’arrivée des sodas en France, ce qui n’a pas arrangé l’affaire. ». Sur les 8 stations uvales qui existaient à Marseille, seule une a réussi à éviter ce funeste destin.
C’est grâce au soutien de la Ville qui, en 2021, a promis le maintien de la dernière station uvale de France sur le cours, ainsi qu’à la diversification de la carte proposée avec plusieurs fruits de saisons, que la station du Cours Pierre Puget a pu maintenir sa place en face du tribunal : « L’envie des gens de revenir à une alimentation « saine » s’est également faite ressentir sur les ventes durant le dernières années.».
Une figure d’exception
A Marseille, la station fait encore figure d'exception car la famille de Yannis y a mis tout son cœur et son énergie : « J'ai la chance d'avoir eu une famille qui a toujours pris soin et fait vivre la station. Il y avait un homme de l'ombre, mon oncle, et ma tante, figure locale qui attirait les clients. Ici c'est un peu l'anti-chambre du palais. Il y a beaucoup de monde qui vient : les avocats tout comme ceux qui sont convoqués au tribunal. ».
Aux yeux de Yannis, reprendre la station, c’était également s’engager à perpétuer des relations qui durent, pour certaines, depuis des décennies : « Hier encore j'avais une cliente de 70 ans qui venait quand elle était petite. Et ça c'est assez fréquent ! C'est vraiment intergénérationnel. C’est vraiment ce qui est beau à voir, surtout quand il y a 3 générations réunies, qui prennent leur jus directement sur le comptoir. Il y a un vrai lien qui se fait. ».
Ce qui est beau à voir, c'est quand il y a trois générations réunies qui prennent directement leur jus sur le comptoir
L’amitié, gage de produits d’exception
S’il y a une chose sur laquelle Yannis est intransigeant, c’est la qualité de son raisin. Depuis 37 ans, c’est une relation toute particulière qui est née entre la famille de Yannis et Jacques, producteur situé à Vedène dans le Vaucluse : « Il a fourni toutes les stations uvales de Marseille pendant un moment. Et puis après il a fini avec nous qui sommes les derniers. C'est le même depuis au moins 37 ans, depuis que mon oncle et ma tante ont repris la station. » nous affirme Yannis avant de continuer : « Eugène mon grand-oncle qui a aujourd'hui 83 ans, a commencé à travailler avec le père de Jacques qui a 67 ans aujourd'hui. ».
Jacques ne livre pas mais la qualité des produits et la relation tissée au fil des années suffisent à motiver Yannis. Forcément, lorsque l’on est seul à travailler à la station, l’impact sur le temps d’ouverture n’est pas anodin. Or, Yannis nous l’affirme : « C’est un choix assumé. Ca permet déjà d'avoir un fil conducteur au niveau du goût, toujours sur les mêmes cépages. Là, on est sur une vigne qui a l'âge de Jacques et qui a été plantée par son père à sa naissance et il nous fournit avec. On a donc un certain goût. ».
Ainsi, tout au long de l’année et au fil des saisons, Yannis peut travailler sur des cépages de qualité : « Cette année, on a commencé par du Cardinal (grain noir), puis du Chasselas (grain blanc), ensuite vient le Saint saut du Lavalé et on finit en beauté par du Muscat. ».
Le muscat, c’est un autre Jacques, habitué des lieux, qui l’apprécie. 2 à 3 fois par semaines, il attend patiemment l’ouverture de la station, assis sur un banc face au Palais de Justice. Yannis connait ses habitudes et à la première heure, il lui prépare un bon verre de jus de raisin. Comme le dit si bien Jacques : « Je viens là, je bois mon jus de raisin, papote un peu, puis ma journée peut commencer ! ».
Un travail du raisin sous "pression"
Aujourd’hui nous avons de la chance car c’est le jour de la pression ! 2 fois par semaine, avant l’ouverture, Yannis va chercher sa matière première chez Jacques pour la traiter directement à la station. Pour l’épauler, Sauveur est présent ce matin. C’est un ami de longue date de la famille qui connait le métier et pour qui c’est un devoir (et un plaisir) de transmettre tout son savoir à la jeune génération.
Le processus de pression est simple mais plutôt physique, comme nous le confirme Yannis : « Pour 130 kg de raisin, on obtient 100L de jus, donc on presse 5 fois pour ne pas en perdre une goutte. ». Ici, tout est manuel et à la vue de la machine, on se doute que ce n’est pas une mince affaire. Lorsque le jus a été extrait des fruits, Yannis le passe au filtre puis bascule le tout dans une cuve réfrigérée à 8°. A cette température, le jus de raisin pourra être conservé au moins pendant 3 jours.
Des raisins, ne restent que les déchets au fond du pressoir que Sauveur appelle avec amusement « la galette ». Celle-ci servira d’engrais car à la station rien ne se perd, tout se transforme.
Quelques heures suffisent à rafraîchir le jus et tout est fin prêt pour les clients.
Maintenant, il suffit de le déguster !
Quels projets pour l'avenir ?
Yannis, nous l’assure, l’idée principale reste de conserver ce kiosque historique sans pour autant rester assis sur ses acquis : « Il y quand même une volonté d’apporter une valeur ajoutée, de développer ne serait-ce que la carte. A l’époque il y avait des milkshakes donc j’aimerais en re-proposer avec d’autres produits, suivant les saisons. J’ai notamment comme idée de proposer des soupes chaudes que les clients pourront consommer les jours de froid et de mistral. ».
Si il y a bien une chose que nous pouvons souhaiter à Yannis, c’est de continuer à faire vivre cette tradition en régalant les papilles des petits et des grands marseillais !