Les Veilleurs - Ali Cherri

au
Rendez-vous au Musée d'Art Contemporain de Marseille [mac] pour l'expsoition "Les Veilleurs" d'Ali Cherri.
Fête d'inauguration jeudi 5 juin à partir de 19h30
Foodtruck - DJ set avec Jérémie Herreman
Accès libre et gratuit

L’exposition Les Veilleurs présentée au [mac] musée d’art contemporain de Marseille prend forme et vie à partir de deux totems Les Veilleurs, symbolisant le feu et l’eau, acquis en 2024 par les Musées de Marseille.

À l’occasion de l’acquisition de ces deux œuvres majeures, le [mac] propose à Ali Cherri de choisir dans les collections des Musées de Marseille des pièces résonnant avec son œuvre sculptée et vidéo, et de penser une scénographie comme un dialogue, où les objets sortent des discours encyclopédiques, pour être pleinement matière et susciter l’émotion, hors récits muséographiques traditionnels ou occidentaux. Les Totems sont des manières de raconter l’histoire par accumulation.

Les œuvres sont présentées parallèlement à l’exposition "Alberto Giacometti : sculpter le vide présentée au Musée Cantini, les œuvres sculptées d’Ali Cherri se découvrent également en écho aux recherches incessantes de l’artiste sur la représentation du visage humain.


► Trois questions à Ali Cherri

1- De quelle manière les totems Gatekeepers Fire et Water, point de départ de l’exposition au [mac], s'inscrivent-ils dans le dialogue que vous avez souhaité créer avec les œuvres issues des collections des musées de Marseille ?

The Gatekeepers Fire et Water font partie d’un ensemble de quatre totems réalisés dans le cadre de Manifesta 13 à Marseille en 2020 et présentés dans le hall d’entrée du Musée des Beaux Arts. Je rassemble des figures inspirées du règne animal, du monde aquatique ou d’êtres fictifs monstrueux dans un hommage à l’âme de tous les animaux naturalisés logés dans le Museum d’Histoire naturelle situé à quelques pas de là, dans l’aile opposée du Palais Longchamp. Ces piliers verticaux se substituaient aux "piliers de la connaissance", que représentent les musées, tout en faisant écho au balcon à colonnades qui relie les deux établissements. Je me suis inspiré du processus de greffe en botanique. Lorsqu’on greffe ensemble deux espèces de végétaux, elles s’agrippent l’une à l’autre pour créer une nouvelle forme de vie. Dans cette optique, je me suis penché sur le dialogue entre le Muséum d’histoire naturelle et le musée des Beaux-Arts. Pourquoi faire entrer tous ces animaux empaillés au Muséum d’histoire naturelle et la culture aux Beaux-Arts ? Il y a là une démonstration concrète de la séparation entre nature et culture, et de la manière dont, en Occident, la connaissance est produite à partir de cette dichotomie.

Au sein de l’exposition, ces Gatekeepers ou Gardiens sont devenus des Veilleurs. Fidèles à leur fonction première de totems, ils gardent les lieux et les récits qui unissent la communauté des êtres qui les habitent (ici les œuvres et les visiteurs), mais ils veillent aussi. L’état de veille contredit celui du sommeil. Que ce soit chez l’être humain ou l’animal, tous les sens restent en activité pour permettre une perception consciente de l’environnement. Le demi-sommeil offre également une autre manière de percevoir le monde qui nous entoure, de l’envisager. Tous les jours, nous sommes contraints à l’hypervigilance, témoins épuisés aux yeux grands ouverts. Le sommeil léger ou la veille sont une forme de résistance à cette injonction, une manière active d’être au monde, une réceptivité qui ne passe pas par le regard. On échappe ainsi à la violence du monde pour tenter de trouver d’autres réalités, d’autres possibilités pour le présent.
En 2024, à l’occasion de l’acquisition de The Gatekeepers Fire et Water par [mac], Stéphanie Airaud m’a proposé de penser une présentation spécifique au sein du musée d’art contemporain dans un dialogue avec les collections des musées de Marseille. Pour choisir les œuvres et objets qui allaient être conviqués, nous avons déterminé un certain nombre de thèmes directement liés aux totems, tels que l’animalité, l’hybridation, le regard, le visage, le sommeil, la vulnérabilité, etc.
Par cette invitation à présenter mon travail au regard des œuvres conservées - pour la plupart dans les réserves-, j’ai donné une forme nouvelle à mon processus de travail habituel à travers lequel j’hybride, je greffe les objets que je collectionne aux formes que je construis. Les objets que je collectionne sont achetés dans des ventes aux enchères ou chez des antiquaires. Ils ont suivi des trajectoires complexes qui ne les ont pas menés aux cimaises des musées. Les pièces rassemblées et mise en espace au [mac] sont bien des objets de musée, pour beaucoup peu ou jamais montrés, fragmentaires, peu reconnus ou connus. Ils sont témoins de la production matérielle des civilisation humaines de l’Égypte antique au Mexique contemporain. Certains portent une histoire chargée de l’histoire coloniale des institutions qui les conservent, d’autres, aux fonctions rituels, n’ont jamais été produits pour être présentés dans un musée. Mon souhait était de leur restituer une présence, une aura perdue en les rassemblant tous ensemble, sans critères de style, d’origine ou de chronologie, de leur redonner la parole.
Les œuvres sont des corps brisés, abîmés par le passage du temps, altérés dans leur matérialité malmenés par l’histoire coloniale et les trajectoires suivies. Comment en tant que porteurs et témoins de ces histoires violentes, la communauté des hommes comme des œuvres peut-elle survivre, briser l’isolement ? L’exposition est faite de "rencontres horizontales" où tous les objets se présente à nous et nous regardent comme des corps parmi d’autres. Je suis à l’écoute des objets. Je souhaite enlever le masque de sens que le musée leur impose, les libérer, les regarder et les laisser nous regarder.

2- Qu'est ce qui a guidé vos choix parmi les pièces des collections muséales ? Comment résonnent-elles avec votre pratique artistique et les sujets qui animent votre recherche ?

Les choix ont donc été réalisés dans un premier temps selon une approche thématique, puis les correspondances formelles entre mes œuvres et les pièces présélectionnées par les équipes du musée ont commencé à émerger. Nous avons retrouvé des visages, des regards, des masques, des figures du sommeil ou encore des chimères au sein des collections des musées d’histoire, d’archéologie méditerranéenne, des Beaux-arts, des arts africains, océaniens et amérindiens ou encore du Museum d’histoire naturelle. Les visages y sont nombreux, des masques issus de toutes les époques et continents révèlent l’intériorité, une altérité, une identité autre. Dans mon travail de sculpture, le point de départ est souvent le visage. Lorsque je trouve un objet, c’est toujours une tête qui me parle, que je sélectionne et autour de laquelle je crée un corps, une mise en scène, pour l’intégrer dans l’histoire que je veux raconter. Le potentiel de ce qu’un visage peut raconter est infini.
De nombreuses pièces proviennent du musée d’archéologie méditerranéenne. Mon intérêt pour l’archéologie n’est pas motivé par l’amour des ruines mais par un désir de creuser ce qui a survécu. Tandis qu’une partie de l’archéologie est conservé dans des boîtes en verre méticuleusement éclairées, et étiquetées par les musées, l’autre partie est la matière première, le site archéologique lui-même, avec toutes ses potentielles qualités sculpturales. La découverte d’un site de fouilles va de pair avec sa destruction : le plus nous déterrons, le plus nous détruisons. Le processus physique de l’excavation devient une forme de sculpture négative.
Les objets prélevés sur des sites antiques égyptiens ont particulièrement fait écho à un certain nombre de mes œuvres sculptées ou vidéos. Les ouchebtis, par exemple, ces petites statuettes présentes en grand nombre dans les tombes royales dialoguent naturellement avec la série Mud Capsul (2020), des briques en terre crue compressée portant des artefacts de ma collection personnelle où je fais dialoguer matière brute et mémoire enfouie. Des yeux d’incrustation provenant de masques de momie de la basse époque égyptienne évoquent Returning the Gaze (Fragment of an anonymous statue) (2024), des pièces à travers lesquelles je restitue leur regard à sept œuvres fragmentaires du musée égyptien de Turin. J’ai fait fondre des yeux en bronze pour permettre aux sculptures du musée privées de leur regard de nous voir à nouveau. Encore, une massue d’Hercule fragmentaire portant la peau du lion de Némée dialogue avec la sculpture Lion (2022) que j’ai réalisé avec une boue de sable et d’argile. La boue est un élément symbolique dans presque tous les mythes de création. Qu’il s’agisse de Gilgamesh, de Golems ou d’Adam, ils sont tous moulés dans la boue. Ainsi, ce matériau est aussi vieux que l’humanité elle-même.
De manière plus surprenante, nous avons choisi un ensemble de peintures du musée des Beaux-arts, des natures mortes, scène de genre et une adoration des mages du 17e siècle. Cette peinture a attiré notre attention, non pas pour la scène représentée, mais pour sa vulnérabilité évidente. La couche picturale a subi de nombreuses pertes donnant à l’oeuvre l’aspect d’une peau griffée, lardée, cicatricielle. Mais elle tient pourtant fermement à la toile et les regards intenses des protagonistes se fraient un chemin à l’intérieur de ce réseau de failles.
A ces œuvres et natures mortes répond la série d’aquarelles Bitter Fruits Series (2024). La notion d’altération est au centre de cette série de dessins de pommes, représentées à différents stades de pourrissement. Référence au travail d’Alberto Giacometti, la pomme est consumée de l’intérieur. Métaphore de résistance, la moisissure incarne ici une force qui déconstruit les représentations de l’histoire dominante.

3- Depuis votre première rencontre avec les musées de Marseille en 2020 à l’occasion de Manifesta13, comment a évolué votre relation, a-t-elle nourri ou transformé votre pratique ?

Cette rencontre initiée en 2020 pour Manifesta 13 a notamment donné lieu à la réalisation de Storage, une image photographique présentée sous forme de caisson lumineux et présentée dans l’exposition au [mac]. Elle y marque un seuil, une porte d’entrée dans un monde inconnu du grand public où sommeillent les œuvres, à savoir les réserves des musées. En photographiant les réserves des musées de Marseille, je révèle les milliers d’œuvres qui dorment ici et ailleurs. Je mets en lumière des galeries fantomatiques, les expose au regard des visiteurs et visiteuses.

Le musée Cantini présente au même moment une exposition consacrée à l’œuvre de Giacometti. C’est l’occasion pour moi et pour le [mac] de faire connaître le travail réalisé à la Fondation Giacometti à Paris en 2023 lors de mon exposition intitulée Envisagement dont le commissaire Romain Perrin est également à l’oeuvre au musée Cantini. "Tout l’art du passé, de toutes époques, de toutes les civilisations surgit devant moi, tout est simultané, comme si l’espace prenait la place du temps"1. Je partage avec Giacometti le désir de déjouer les principes de cloisonnement propres à l’histoire de l’art occidental mais également l’attention qu’il portait à la fragilité et à la vulnérabilité. Quelques œuvres réalisées à l’occasion de cette exposition sont présentées au musée d’art contemporain et notamment La Tête qui marche, une référence à L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti. Mais ici, la marche est déjouée, déplacée, presque rendue absurde. Sur un socle brut, semblable à un fragment archéologique, une créature hybride se dresse : un visage modelé juché sur une patte d'oiseau, troquant ainsi le corps humain pour un fragment animal. La sculpture oscille entre pesanteur et envol.

La proposition du [mac] d’explorer les collections des musées de Marseille à partir des Gatekeapers m’a donné l’opportunité de poursuivre le travail réalisé à la National Gallery où j’ai été invité à créer une œuvre en dialogue avec les collections du musée. Je me suis alors intéressé à la question du musée en tant que lieu politique et à l’idée d’irruption de la violence comme forme de protestation. J’ai trouvé dans les archives du musée des éléments sur des actes de vandalisme qui avaient eu lieu à la National Gallery. J’ai voulu comprendre pourquoi quelqu’un avait décidé un jour d’entrer dans ce musée et de détruire une œuvre d’art. La recherche à Marseille s’est déployée de manière circulaire, des totems aux collections, des collections à mes productions existantes, etc. Avec la complicité des conservateurs et conservatrices des musées de la Ville, les objets identifiés en réserve ont été ramenés à la lumière des salles d’exposition, guidés par l’envie de proposer une véritable expérience de visite, un chemin à parcourir et de créer un sentiment de familiarité avec ces objets. En tant que cinéaste, je donne au spectateur un point de vue que je détermine avec ma caméra, je lui dicte ce que je vois : d’abord un paysage, puis un gros plan sur un visage, suivi de la pluie à travers la fenêtre et ainsi de suite. J’essaie de réfléchir à l’expérience de l’exposition un peu de la même façon. Je me mets donc à la place du visiteur pour penser la scénographie, l’éclairage2. Par ailleurs, les œuvres étant montrées sans leurs références académiques et muséologiques, les repères sont flous, les formes se confondent. C’est peut être comme cela que peut se construire un imaginaire universel dans le quel tout est mêlé, où on a le sentiment que tel ou tel objet nous appartient, à toutes et tous.


1 - Giacometti, "Notes sur les copies" in Luigi Carluccio, Les copies du passé, 1967, Lyon, Parus, Fages édition, Fondation Giacometti, 2013
2 - Voir entretien avec Romain Perrin, catalogue de l’exposition Envisagement à la Fondation Giacometti, 2024. Éditions Fages, Lyon

► Afin d'être certain(e) de pouvoir bénéficier de la visite complète de toutes nos salles d'exposition, nous vous invitons à contacter le Musée avant votre visite

► Toutes les visites et activités autour de l'exposition sont disponibles sur le site des musées

Adresse

Musée d'Art Contemporain de Marseille [mac] 69 Avenue d'Haïfa 13008

Programme en attente de validation

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Fête d'inauguration jeudi 5 juin à partir de 19h30
Foodtruck - DJ set avec Jérémie Herreman
Accès libre et gratuit

L’exposition Les Veilleurs présentée au [mac] musée d’art contemporain de Marseille prend forme et vie à partir de deux totems Les Veilleurs, symbolisant le feu et l’eau, acquis en 2024 par les Musées de Marseille.

À l’occasion de l’acquisition de ces deux œuvres majeures, le [mac] propose à Ali Cherri de choisir dans les collections des Musées de Marseille des pièces résonnant avec son œuvre sculptée et vidéo, et de penser une scénographie comme un dialogue, où les objets sortent des discours encyclopédiques, pour être pleinement matière et susciter l’émotion, hors récits muséographiques traditionnels ou occidentaux. Les Totems sont des manières de raconter l’histoire par accumulation.

Les œuvres sont présentées parallèlement à l’exposition "Alberto Giacometti : sculpter le vide présentée au Musée Cantini, les œuvres sculptées d’Ali Cherri se découvrent également en écho aux recherches incessantes de l’artiste sur la représentation du visage humain.


► Trois questions à Ali Cherri

1- De quelle manière les totems Gatekeepers Fire et Water, point de départ de l’exposition au [mac], s'inscrivent-ils dans le dialogue que vous avez souhaité créer avec les œuvres issues des collections des musées de Marseille ?

The Gatekeepers Fire et Water font partie d’un ensemble de quatre totems réalisés dans le cadre de Manifesta 13 à Marseille en 2020 et présentés dans le hall d’entrée du Musée des Beaux Arts. Je rassemble des figures inspirées du règne animal, du monde aquatique ou d’êtres fictifs monstrueux dans un hommage à l’âme de tous les animaux naturalisés logés dans le Museum d’Histoire naturelle situé à quelques pas de là, dans l’aile opposée du Palais Longchamp. Ces piliers verticaux se substituaient aux "piliers de la connaissance", que représentent les musées, tout en faisant écho au balcon à colonnades qui relie les deux établissements. Je me suis inspiré du processus de greffe en botanique. Lorsqu’on greffe ensemble deux espèces de végétaux, elles s’agrippent l’une à l’autre pour créer une nouvelle forme de vie. Dans cette optique, je me suis penché sur le dialogue entre le Muséum d’histoire naturelle et le musée des Beaux-Arts. Pourquoi faire entrer tous ces animaux empaillés au Muséum d’histoire naturelle et la culture aux Beaux-Arts ? Il y a là une démonstration concrète de la séparation entre nature et culture, et de la manière dont, en Occident, la connaissance est produite à partir de cette dichotomie.

Au sein de l’exposition, ces Gatekeepers ou Gardiens sont devenus des Veilleurs. Fidèles à leur fonction première de totems, ils gardent les lieux et les récits qui unissent la communauté des êtres qui les habitent (ici les œuvres et les visiteurs), mais ils veillent aussi. L’état de veille contredit celui du sommeil. Que ce soit chez l’être humain ou l’animal, tous les sens restent en activité pour permettre une perception consciente de l’environnement. Le demi-sommeil offre également une autre manière de percevoir le monde qui nous entoure, de l’envisager. Tous les jours, nous sommes contraints à l’hypervigilance, témoins épuisés aux yeux grands ouverts. Le sommeil léger ou la veille sont une forme de résistance à cette injonction, une manière active d’être au monde, une réceptivité qui ne passe pas par le regard. On échappe ainsi à la violence du monde pour tenter de trouver d’autres réalités, d’autres possibilités pour le présent.
En 2024, à l’occasion de l’acquisition de The Gatekeepers Fire et Water par [mac], Stéphanie Airaud m’a proposé de penser une présentation spécifique au sein du musée d’art contemporain dans un dialogue avec les collections des musées de Marseille. Pour choisir les œuvres et objets qui allaient être conviqués, nous avons déterminé un certain nombre de thèmes directement liés aux totems, tels que l’animalité, l’hybridation, le regard, le visage, le sommeil, la vulnérabilité, etc.
Par cette invitation à présenter mon travail au regard des œuvres conservées - pour la plupart dans les réserves-, j’ai donné une forme nouvelle à mon processus de travail habituel à travers lequel j’hybride, je greffe les objets que je collectionne aux formes que je construis. Les objets que je collectionne sont achetés dans des ventes aux enchères ou chez des antiquaires. Ils ont suivi des trajectoires complexes qui ne les ont pas menés aux cimaises des musées. Les pièces rassemblées et mise en espace au [mac] sont bien des objets de musée, pour beaucoup peu ou jamais montrés, fragmentaires, peu reconnus ou connus. Ils sont témoins de la production matérielle des civilisation humaines de l’Égypte antique au Mexique contemporain. Certains portent une histoire chargée de l’histoire coloniale des institutions qui les conservent, d’autres, aux fonctions rituels, n’ont jamais été produits pour être présentés dans un musée. Mon souhait était de leur restituer une présence, une aura perdue en les rassemblant tous ensemble, sans critères de style, d’origine ou de chronologie, de leur redonner la parole.
Les œuvres sont des corps brisés, abîmés par le passage du temps, altérés dans leur matérialité malmenés par l’histoire coloniale et les trajectoires suivies. Comment en tant que porteurs et témoins de ces histoires violentes, la communauté des hommes comme des œuvres peut-elle survivre, briser l’isolement ? L’exposition est faite de "rencontres horizontales" où tous les objets se présente à nous et nous regardent comme des corps parmi d’autres. Je suis à l’écoute des objets. Je souhaite enlever le masque de sens que le musée leur impose, les libérer, les regarder et les laisser nous regarder.

2- Qu'est ce qui a guidé vos choix parmi les pièces des collections muséales ? Comment résonnent-elles avec votre pratique artistique et les sujets qui animent votre recherche ?

Les choix ont donc été réalisés dans un premier temps selon une approche thématique, puis les correspondances formelles entre mes œuvres et les pièces présélectionnées par les équipes du musée ont commencé à émerger. Nous avons retrouvé des visages, des regards, des masques, des figures du sommeil ou encore des chimères au sein des collections des musées d’histoire, d’archéologie méditerranéenne, des Beaux-arts, des arts africains, océaniens et amérindiens ou encore du Museum d’histoire naturelle. Les visages y sont nombreux, des masques issus de toutes les époques et continents révèlent l’intériorité, une altérité, une identité autre. Dans mon travail de sculpture, le point de départ est souvent le visage. Lorsque je trouve un objet, c’est toujours une tête qui me parle, que je sélectionne et autour de laquelle je crée un corps, une mise en scène, pour l’intégrer dans l’histoire que je veux raconter. Le potentiel de ce qu’un visage peut raconter est infini.
De nombreuses pièces proviennent du musée d’archéologie méditerranéenne. Mon intérêt pour l’archéologie n’est pas motivé par l’amour des ruines mais par un désir de creuser ce qui a survécu. Tandis qu’une partie de l’archéologie est conservé dans des boîtes en verre méticuleusement éclairées, et étiquetées par les musées, l’autre partie est la matière première, le site archéologique lui-même, avec toutes ses potentielles qualités sculpturales. La découverte d’un site de fouilles va de pair avec sa destruction : le plus nous déterrons, le plus nous détruisons. Le processus physique de l’excavation devient une forme de sculpture négative.
Les objets prélevés sur des sites antiques égyptiens ont particulièrement fait écho à un certain nombre de mes œuvres sculptées ou vidéos. Les ouchebtis, par exemple, ces petites statuettes présentes en grand nombre dans les tombes royales dialoguent naturellement avec la série Mud Capsul (2020), des briques en terre crue compressée portant des artefacts de ma collection personnelle où je fais dialoguer matière brute et mémoire enfouie. Des yeux d’incrustation provenant de masques de momie de la basse époque égyptienne évoquent Returning the Gaze (Fragment of an anonymous statue) (2024), des pièces à travers lesquelles je restitue leur regard à sept œuvres fragmentaires du musée égyptien de Turin. J’ai fait fondre des yeux en bronze pour permettre aux sculptures du musée privées de leur regard de nous voir à nouveau. Encore, une massue d’Hercule fragmentaire portant la peau du lion de Némée dialogue avec la sculpture Lion (2022) que j’ai réalisé avec une boue de sable et d’argile. La boue est un élément symbolique dans presque tous les mythes de création. Qu’il s’agisse de Gilgamesh, de Golems ou d’Adam, ils sont tous moulés dans la boue. Ainsi, ce matériau est aussi vieux que l’humanité elle-même.
De manière plus surprenante, nous avons choisi un ensemble de peintures du musée des Beaux-arts, des natures mortes, scène de genre et une adoration des mages du 17e siècle. Cette peinture a attiré notre attention, non pas pour la scène représentée, mais pour sa vulnérabilité évidente. La couche picturale a subi de nombreuses pertes donnant à l’oeuvre l’aspect d’une peau griffée, lardée, cicatricielle. Mais elle tient pourtant fermement à la toile et les regards intenses des protagonistes se fraient un chemin à l’intérieur de ce réseau de failles.
A ces œuvres et natures mortes répond la série d’aquarelles Bitter Fruits Series (2024). La notion d’altération est au centre de cette série de dessins de pommes, représentées à différents stades de pourrissement. Référence au travail d’Alberto Giacometti, la pomme est consumée de l’intérieur. Métaphore de résistance, la moisissure incarne ici une force qui déconstruit les représentations de l’histoire dominante.

3- Depuis votre première rencontre avec les musées de Marseille en 2020 à l’occasion de Manifesta13, comment a évolué votre relation, a-t-elle nourri ou transformé votre pratique ?

Cette rencontre initiée en 2020 pour Manifesta 13 a notamment donné lieu à la réalisation de Storage, une image photographique présentée sous forme de caisson lumineux et présentée dans l’exposition au [mac]. Elle y marque un seuil, une porte d’entrée dans un monde inconnu du grand public où sommeillent les œuvres, à savoir les réserves des musées. En photographiant les réserves des musées de Marseille, je révèle les milliers d’œuvres qui dorment ici et ailleurs. Je mets en lumière des galeries fantomatiques, les expose au regard des visiteurs et visiteuses.

Le musée Cantini présente au même moment une exposition consacrée à l’œuvre de Giacometti. C’est l’occasion pour moi et pour le [mac] de faire connaître le travail réalisé à la Fondation Giacometti à Paris en 2023 lors de mon exposition intitulée Envisagement dont le commissaire Romain Perrin est également à l’oeuvre au musée Cantini. "Tout l’art du passé, de toutes époques, de toutes les civilisations surgit devant moi, tout est simultané, comme si l’espace prenait la place du temps"1. Je partage avec Giacometti le désir de déjouer les principes de cloisonnement propres à l’histoire de l’art occidental mais également l’attention qu’il portait à la fragilité et à la vulnérabilité. Quelques œuvres réalisées à l’occasion de cette exposition sont présentées au musée d’art contemporain et notamment La Tête qui marche, une référence à L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti. Mais ici, la marche est déjouée, déplacée, presque rendue absurde. Sur un socle brut, semblable à un fragment archéologique, une créature hybride se dresse : un visage modelé juché sur une patte d'oiseau, troquant ainsi le corps humain pour un fragment animal. La sculpture oscille entre pesanteur et envol.

La proposition du [mac] d’explorer les collections des musées de Marseille à partir des Gatekeapers m’a donné l’opportunité de poursuivre le travail réalisé à la National Gallery où j’ai été invité à créer une œuvre en dialogue avec les collections du musée. Je me suis alors intéressé à la question du musée en tant que lieu politique et à l’idée d’irruption de la violence comme forme de protestation. J’ai trouvé dans les archives du musée des éléments sur des actes de vandalisme qui avaient eu lieu à la National Gallery. J’ai voulu comprendre pourquoi quelqu’un avait décidé un jour d’entrer dans ce musée et de détruire une œuvre d’art. La recherche à Marseille s’est déployée de manière circulaire, des totems aux collections, des collections à mes productions existantes, etc. Avec la complicité des conservateurs et conservatrices des musées de la Ville, les objets identifiés en réserve ont été ramenés à la lumière des salles d’exposition, guidés par l’envie de proposer une véritable expérience de visite, un chemin à parcourir et de créer un sentiment de familiarité avec ces objets. En tant que cinéaste, je donne au spectateur un point de vue que je détermine avec ma caméra, je lui dicte ce que je vois : d’abord un paysage, puis un gros plan sur un visage, suivi de la pluie à travers la fenêtre et ainsi de suite. J’essaie de réfléchir à l’expérience de l’exposition un peu de la même façon. Je me mets donc à la place du visiteur pour penser la scénographie, l’éclairage2. Par ailleurs, les œuvres étant montrées sans leurs références académiques et muséologiques, les repères sont flous, les formes se confondent. C’est peut être comme cela que peut se construire un imaginaire universel dans le quel tout est mêlé, où on a le sentiment que tel ou tel objet nous appartient, à toutes et tous.


1 - Giacometti, "Notes sur les copies" in Luigi Carluccio, Les copies du passé, 1967, Lyon, Parus, Fages édition, Fondation Giacometti, 2013
2 - Voir entretien avec Romain Perrin, catalogue de l’exposition Envisagement à la Fondation Giacometti, 2024. Éditions Fages, Lyon

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Du 06/06/2025 au 04/01/2026 de 9h à 18h sauf les 1er janvier, 1er novembre, 11 novembre et 25 décembre.
Fermé le lundi.
Du mardi au dimanche de 9h à 18h.

► Fermeture hebdomadaire le lundi, sauf les lundis de Pâques et de Pentecôte.
Plein tarif : 6 €, Tarif réduit : 3 €.


► Gratuit le 1er jour de l'exposition et chaque premier dimanche du mois.

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