Certains lieux servent de refuge à des stars en mal d’anonymat. Il en est ainsi, à Carry-le-Rouet sur la Côte Bleue. J’apprends au détour d’une conversation que Nina Simone et Fernandel ont habité ici. Là, s’amorce une enquête sur les personnalités qui ont vécu discrètement voire incognito dans ce charmant village.
Sur les traces de Nina
Par où commencer ? À Carry-le-Rouet, le cinéma Le Fernandel est une institution, on y vient pour des films blockbusters mais aussi des films d’auteurs, Robert Barnakian, son directeur et fin connaisseur de sa ville d’adoption, va m’aiguiller dans cette recherche. Je creuse avec lui le dossier Nina Simone.
Avant tout, il est bon de rappeler l’immense talent et célébrité qu’est Nina Simone. Reconnue comme l’une des plus grandes chanteuses et pianistes de l’histoire du jazz, elle a imposé un style musical inspirant de nombreux artistes. Ses chansons” ”Feeling Good” et ”Strange Fruit” sont encore reprises aujourd’hui. Sa personnalité complexe, elle souffrait de bipôlarité, rendait compliquée ses rapports humains. Mais sa force de caractère lui a permis de devenir une militante engagée, luttant avec ferveur pour les droits civiques aux États-Unis.
Ceci explique pourquoi l’affaire avait fait grand bruit au moment de son décès lorsque le village de Carry fut envahi de vedettes américaines pour assister à sa messe d’adieu. Robert Barnakian se remémore ce jour : « Une limousine avait déposé le cercueil de la diva. Je ne pouvais pas accéder dans l’enceinte de l’église tellement il y avait foule. Une voix exceptionnelle résonnait hors des murs de l’église. C’était émouvant. J’ai écouté cette magnifique chanteuse qui n’était autre que la fille de Nina Simone. Je ne sais pas si c’était une promesse faite à sa mère mais elle nous a tous envoûté en chantant son dernier hommage. »
Je continue mes recherches. On me donne le contact de son ancien voisin. Celui-ci me décrit une personne très discrète, mutique, qui restait des heures au soleil sur son balcon avec pour horizon le bleu de la Méditerranée. Elle vivait avec sa bonne et son manager. Une vie de repli, pour celle qui avait brillé sur scène. Elle ne recevait jamais personne. Elle avait demandé au maire de l’époque de ne surtout pas évoquer son établissement ici, elle souhaitait rester anonyme et tranquille. Après sa mort, la maison fut squattée pendant 10 ans jusqu’à ce que sa fille Lisa la récupère. Celle-ci est souvent revenue mais pas depuis la pandémie.
Fernandel et Caméra
Robert Barnakian, le directeur du cinéma, revient vers moi, il souhaite me parler de Fernandel qui a été, en quelque sorte, le déclencheur de son installation à Carry. Parisien, marié à une marseillaise, du quartier de Saint-Antoine, elle l’emmenait à la plage sur la Côte Bleue lors de leurs vacances dans le sud. La douceur de vivre mais aussi la présence passée du comédien les ont convaincus d’y avoir une maison secondaire. « Si Fernandel vivait ici, il devait avoir de bonnes raisons ».
Fernandel vivait boulevard Baille à Marseille. Il est arrivé à Carry en 1931. Amoureux de la mer, il y avait acheté une villa surplombant le port. Il y venait 2/3 mois par an en famille et recevait beaucoup, notamment des stars. C’était son refuge. Il avait créé un escalier qui descendait directement sur le quai. À l’époque, des films étaient diffusés, l’été, sur le port. Fernandel avait écrit à ce propos une lettre au maire. « J’habite dans un paradis mais je ne suis pas venu à Carry pour avoir des acteurs dans ma chambre jusqu’à 1 heure du matin ! ».
Si Fernandel vivait ici, il devait avoir de bonnes raisons
Tous les jours, à 14 heures, Fernandel, coiffé de sa casquette et vêtu d’un costume, pas vraiment l’habit d’un pêcheur, descendait ses marches. Le capitaine de Caméra, sa barque amarrée de l’autre côté du port, arrivait en bas de la maison. Il allait pêcher quel que soit l’état de la mer et ramenait du poisson pour en faire des soupes. Une vie simple nourrie de rituels. Cette vie est possible ici grâce à ses plages, ses criques, son parc marin et des calanques plus confidentielles à seulement quelques minutes en voiture. Je comprends cette vie régulée par la mer : se baigner tous les matins, passer faire un tour au marché les mardi et vendredi, flâner sur le port pour la fin du jour et apprécier.
Carry rend hommage à Fernandel
Carry-le-Rouet a bien failli avoir un musée Fernandel et Nina Simone. Mais maints rebondissements, comme une sorte de malédiction, ont mis fin prématurément à ces deux projets. Qui sait si un jour, ils ne reprendront pas ? Robert Barnakian me confie une bonne nouvelle : « On ne peut nier l’influence de M. Fernandel sur notre village. Alors, quand on m’a appelé pour me proposer de récupérer sa barque "Caméra" qui se trouvait à Martigues (elle avait été vendue au décès de Fernandel), j’ai compris qu’elle devait absolument revenir à Carry, son port d’attache ». Elle sera inaugurée sur l’esplanade du port en automne 2023. Joli hommage !