Le musée Granet, institution phare de la ville d’Aix-en-Provence, présente sur près de 700 m2 et en plus de 100 peintures, une exposition rétrospective sur ce groupe d’artistes encore méconnu de l’art français d’après-guerre, représentants « la non-figuration ».
Ces six peintres que réunit cette exposition – Roger Bissière, Elvire Jan, Jean Bazaine, Jean Le Moal, Gustave Singier et Alfred Manessier – ne forment d’aucune façon un mouvement constitué au sens que l’on donne généralement à ce mot en parlant, par exemple, des Impressionnistes, de Dada ou des Futuristes. D’autant moins que ces artistes ne se réclamèrent jamais d’une esthétique commune et ne produisirent aucun manifeste. Il s’agit d’abord d’un groupe d’amis, qui se fréquentèrent beaucoup, passant parfois leurs vacances dans les mêmes lieux, et travaillant en grande proximité.
Après s’être dégagés, dès 1945, des influences cubistes et surréalistes, ces artistes eurent en commun le souci de trouver une voie entre la figuration et l’abstraction, qui fut parfois dite celle de la non-figuration. Il s’agissait avant tout pour eux de répondre à l’émotion directe suscitée par la lecture des phénomènes naturels, notamment les manifestations de la lumière dont ils se sont efforcés chacun selon sa sensibilité de traduire la force de propagation, les mouvements, éclats, reflets et transparences.
Datant pour l’essentiel des quatre décennies faisant suite à la Seconde Guerre mondiale, la création de ces artistes eut à souffrir du succès grandissant de la peinture américaine : de l’expressionnisme Abstrait, d’une part, privilégiant les grands formats et la spontanéité du geste, et plus tard du Pop Art, instaurant une lecture brutale de la réalité immédiate. Leur art, fidèle à la tradition de la peinture de chevalet, fut de ce fait éclipsé et très injustement négligé par la critique et les institutions françaises. Le temps est venu d’en redécouvrir la singularité et la cohérence. C’est l’objet même de cette exposition préparée par la Fondation Jean et Suzanne Planque. Outre les quelques oeuvres de ces artistes issues de la collection de Jean Planque et de grands musées suisses, la majeure partie des toiles exposées est issue d’une collection suisse, réunie grâce au regard d’un amateur exigeant, très tôt passionné par ce groupe de peintres.
L’exposition composée d’une centaine d’oeuvres – dont de très grands formats – sera présentée successivement, après le musée Granet d’Aix-en-Provence, en Allemagne, au Kunstmuseum Pablo Picasso Münster, et à Roubaix, à La Piscine (musée d’Art et d’Industrie André-Diligent).
Cette période si méconnue de la peinture française
Avant même la fin de la guerre, Jean Bazaine et ses amis qui avaient participé à l’exposition de 1941 Jeunes peintres de tradition française à la galerie Braun furent honorés par une partie du monde de l’art comme les rares artistes qui avaient su résister à la barbarie. Ils furent notamment chargés d’organiser le premier Salon de mai de Paris.
Mais très vite des reproches leur sont faits. Par les membres du parti communiste, d’abord, qui les accusent de s’être évadés dans l’abstraction sans prendre en compte la réalité des temps ; puis par les abstraits radicaux qui leur reprochent de rester malgré tout attachés à la nature et à une certaine figuration.
Ce groupe d’amis peintres, pour certains résidant hors de la capitale, demeure le plus souvent à l’écart des incessantes querelles des années 50 et 60 pour désigner qui incarnait le mieux l’avant-garde. Ils exposent en province et à l’étranger avec succès, notamment en Suisse et en Allemagne, et vivent correctement grâce aux galeries parisiennes qui les défendent. Presque tous acceptent de travailler pour l’art sacré en réalisant des vitraux dans les églises de province. En 1962, Alfred Manessier reçoit le Grand Prix de la Biennale de Venise. En 1964, c’est Robert Rauschenberg qui rafle la mise, à la stupéfaction des artistes français, lesquels enfermés dans leurs disputes, n’ont pas vu venir la déferlante de l’Expressionnisme abstrait américain et bientôt du Pop Art.
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