Un Mucem complétement foot !

Publiée le lun 18/09/2017 - 02:00 / mis à jour le lun 02/08/2021 - 02:00

Le foot, un phénomène mondial qui touche toutes les classes de la société, d'Istanbul à Marseille, de Madrid à Alger... Nous sommes foot présente plus de 400 œuvres pour poser notre regard sur la culture footballistique en Méditerranée. Entretien avec Florent Molle et Gilles Perez, commissaires de l’exposition.

Avec « Nous sommes foot », le Mucem fait le pari d’ouvrir son regard à la vibration de la ville qui l’accueille. Car Marseille vit au rythme du football. Elle respire foot. Elle déprime les lendemains de défaite, elle communie les soirs de victoire. Cette passion dit beaucoup de sa nature. À commencer par son côté éminemment populaire.

 

Grâce à plus de 400 œuvres, objets, photos, installations et vidéos issus des collections du Mucem, de musées, de fédérations de football ou de collections privées et d’enquêtes collectes, le Mucem souhaite rendre hommage au football et à la culture populaire qui l’accompagne, en Méditerranée comme à Marseille, promue en 2017 au titre de capitale européenne du sport.

« Nous sommes Foot »… même si on n’a jamais tapé dans un ballon, même si on ne s’est jamais intéressé à ce sport ?

Florent Molle — C’est l’idée ! C’est peut-être un peu ambitieux, mais nous souhaitions suggérer avec ce titre provocateur que tout le monde est concerné par le football, et notamment aussi ceux qui détestent ce sport. On ne peut pas fermer les yeux sur le fait que le football est le sport le plus populaire du monde : faut-il rappeler que plus d’un milliard de téléspectateurs ont regardé la finale de la dernière Coupe du monde ? Si le football est si présent, c’est parce qu’il est bien plus qu’un simple sport. Plutôt que de parler du jeu lui-même, de ses règles et de son histoire, l’exposition révèle à quel point il est pertinent de regarder les sociétés de l’Europe et de la Méditerranée à travers un ballon. Tout au long du parcours, il est question de passion, de sentiment religieux, d’appartenance, de violence, de genre, de politique et d’économie…

 

Gilles Perez — Nous sommes tous foot ! Et on s’en amuse énormément dans l’exposition où, dès l’entrée, le visiteur doit passer par un « sas anti-foot » : un vestiaire où l’on va se débarrasser de ses vieux oripeaux, c’est-à- dire de toutes ses idées préconçues sur ce sport. Il s’agit de « se laver les idées », de redevenir le gamin qui regarde ses copains taper dans le ballon et partage avec son père l’enthousiasme d’une victoire… Nous sommes Foot, car le football est un sport universel. Quel que soit l’endroit du monde où l’on se trouve, il permet de rentrer en contact avec l’autre. Lorsque j’étais reporter de guerre, j’avais un « mot de passe » infaillible pour aborder civils ou militaires : « J’arrive de Marseille, la ville de Zidane. » Cela permettait tout de suite de lancer la conversation ! En Asie du Sud-Est, je demandais : « Vous êtes Arsenal, Chelsea ou Liverpool ? » En Espagne : « Vous êtes Real ou Barça ? » Le football est une culture commune à l’ensemble des peuples du monde.

Image
exposition « nous sommes foot »
Exposition « Nous sommes Foot »
En quoi le football est-il un sujet d’exposition pertinent pour le Mucem ?

F.M. — Pour un musée de société, évoquer le football est une évidence. Comme le rappelle le philosophe Jean-Claude Michéa, le football offre un reflet idéal pour comprendre toutes les contradictions de la société libérale moderne. C’est un sport populaire, mais aussi l’un des plus grands business au monde. C’est un sport basé sur la solidarité, mais il reflète aussi les inégalités, sociales ou de genre, présentes dans nos sociétés. C’est à la base un sport « amateur », mais c’est aujourd’hui l’un des éléments phares de notre société du spectacle. Le football est donc le reflet de nos sociétés contemporaines, où tout s’achète et tout se vend, même un joueur, ou un match !

 

G.P. — Faire une exposition sur le foot n’est pas chose évidente. Certains peuvent considérer que le football n’est qu’un épiphénomène, qu’il ne mérite pas d’entrer dans un musée… Notre souhait est de faire comprendre que ce sport nous renvoie sans cesse à une réalité sociétale et politique. Comme l’a souligné Florent, le foot est un polaroïd de nos sociétés et sa marchandisation croissante a travesti notre vision de ce sport, elle nous a fait oublier les émotions premières qu’il véhicule. Notre message est qu’il est nécessaire de revenir aux fondamentaux, de percevoir le foot comme un moment de partage. Avec cette idée utopique que le football est un bien commun nécessaire à la construction d’un bien commun des peuples : il faut donc s’élever contre les appropriations marchandes et financières des passions populaires.

Image
Marionnette de Zinedine Zidane "Les Guignols de l'info" Canal +  Première apparition dans l'émission du 26 mai 1995
Marionnette de Zinedine Zidane « Les Guignols de l'info » Canal + / Première apparition dans l'émission du 26 mai 1995
C’est justement pour « revenir aux fondamentaux » que vous êtes allés « sur le terrain », dans plusieurs pays méditerranéens, afin d’effectuer plusieurs campagnes d’enquêtes-collectes et ainsi de rencontrer ceux qui vivent cette passion au quotidien ?

F.M. — Il s’agissait en effet de montrer que le supportérisme est un loisir pratiqué par de nombreuses personnes. Il fallait prendre au sérieux cette « culture foot », la considérer comme un fait social, l’investiguer, la documenter, et collecter objets et témoignages. Quatre chercheurs (Abderrahim Bourkia, Christian Bromberger, Sébastien Louis et Ljiljana Zeljkovic) sont donc partis à la rencontre de supporters dans plusieurs pays (Algérie, Tunisie, Israël-Palestine, Bosnie-Herzégovine, Italie, France, Espagne). 

 

Nous avons également contacté tous les groupes de Marseille, et puis nous nous sommes très vite rapprochés du Commando Ultra’ (CU 84) et de la « vieille garde », les anciens, les premiers à avoir initié ce type de supportérisme en France. Nous avons ainsi pu collecter des écharpes, des drapeaux, des banderoles, des stickers, des fanzines, des T-shirts, des photos… Tout ce qui représente la culture matérielle du supportérisme et du « mouvement ultra ». Parmi les pièces les plus remarquables, il y a cette caisse de klaxons, réalisée en 1972 par un groupe ultra italien (Ultras Latina 1972) dans laquelle étaient installées deux batteries de voiture, reliées à huit klaxons de Fiat 500 ! De quoi réveiller un stade ! Je citerai aussi la banderole des Ultras Verde Leone du Mouloudia Club d’Alger… Et les centaines de photographies réalisées sur le terrain. Dans le côté « hools », nous avons aussi collecté une barre de fer, utilisée par les supporters russes et les supporters anglais, à Marseille, rue Fort- Notre-Dame, pendant les bagarres qui se sont déclarées en marge de l’Euro 2016.

Dans le rapport qu’entretiennent les supporters avec leur passion pour le foot, y a-t-il une spécificité méditerranéenne… et marseillaise ?

F.M. — Si spécificité méditerranéenne il y a, elle existe sans doute dans le mouvement ultra, ce mouvement de contre-culture qui s’est constitué dans les années 1960 en Italie et qui s’est diffusé très vite dans le reste de l’Europe. En France, la première association voit le jour à Marseille en 1984. Dès la fin des années 1990, le mouvement dépasse les frontières du continent européen pour se développer en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Libye, en Égypte, en Israël et en Palestine.

 

G.P. — Il est vrai qu’à Marseille, le foot se vit plus intensément qu’ailleurs. Il y a cette fameuse 44e minute, le 26 mai 1993, quand la ville a chaviré dans l’émotion, quand elle a planté son drapeau sur la planète Europe. Marseille la mal-aimée accédait enfin à la reconnaissance en atteignant le sommet de l’Europe. L’OM et ses supporters resteront, quoi qu’il arrive, « à jamais les premiers » à avoir remporté la Ligue des champions. L’autre spécificité propre à Marseille tient aux revendications antifascistes et antiracistes des supporters.

Image
à Marseille, « on craint dégun »
A Marseille, « on craint dégun »
Comment s’organise l’exposition ? Quelles sont ses grandes thématiques ?

G.P. — Après le « sas anti-foot » introductif, le visiteur rentre littéralement dans un stade de football, sous les gradins, avec une ambiance scénographique conçue par les directeurs artistiques Democracia. La première partie traite de la « Passion » dans toutes ses dimensions : du point de vue de l’intime, de la ville, de la nation. Nous nous intéressons aux rapports entre football et religion et nous allons jusqu’à comprendre la culture ultras et ce qui la distingue du hooliganisme. La deuxième partie est intitulée « Engagement ». Nous y présentons les liens qui unissent football et politique. Nous cherchons à comprendre comment cette culture populaire a été utilisée au cours de l’histoire politique récente et comment, a contrario, des joueurs ont pu se saisir du pouvoir du football pour défendre d’autres idées. Ici, le visiteur rentre dans ce que l’on nomme « Le stade Agora », un stade reproduit en miniature dans lequel nous espérons voir naître des discussions pour rappeler que le stade est aussi un lieu public.

 

F.M. — « Mercatos » est le titre de la partie suivante. Nous continuons ici notre fil historique pour retracer l’évolution du football, de l’amateurisme à la professionnalisation, jusqu’au marché des transferts. Une salle dans laquelle des affiches de publicités prennent place à côté d’affiches de films et des disques 45 tours pour montrer comment est né le football marchandise, dont l’un des aboutissements réside dans ces objets. L’exposition confronte ensuite le visiteur à la face sombre du football actuel, celle de la corruption et des intérêts financiers. Nous nous demandons ici si le football doit nécessairement gagner à tout prix. La dernière partie propose aux visiteurs une vision plus positive du football en rappelant que celui-ci offre toujours la possibilité d’un monde solidaire et citoyen. Son futur ne dépend que de ce que nous en ferons.

Articles les + lus