MICHEL BERTREUX ET LA RÉNOVATION DU MUSEON ARLATEN

Publiée le mer 10/01/2018 - 01:00 / mis à jour le lun 02/08/2021 - 02:00

Michel Bertreux est architecte et assure pour l’agence Tetrarc la maîtrise d’œuvre du chantier de rénovation du Museon Arlaten. Il a présenté son projet dans le cadre des Journées nationales de l’architecture 2017, aux côtés de son homologue Guillaume Avenard, qui supervisa la rénovation de la Fondation Vincent Van Gogh, de Pascal Prunet, architecte en chef des Monuments historiques et de Dominique Serena-Allier, Directrice du Museon Arlaten.

Pour vous donner un aperçu des conceptions de Michel Bertreux, voici un extrait de la longue interview qui a été réalisée pour le numéro d’automne du Bulletin de l’association des Amis du Vieil Arles. En guise d’illustrations, quelques vues de bâtiments rénovés ou créés par Tetrarc.

Quel est l'esprit du lieu ?

Michel Bertreux : La première fois que nous sommes entrés dans l’enceinte du Museon Arlaten, nous avons été frappés par une sorte de «stratification historique» visible depuis la cour intérieure du musée. En effet, lorsque vous vous placez au pied des vestiges de l’ancien forum romain et que vous regardez vers le ciel, vous avez l’impression de parcourir une grande partie de l’histoire architecturale de la Provence, de l’antiquité au 19e siècle. Il y avait également ce mouvement des vestiges qui pénètrent sous le bâtiment, renforcé par le chemin d’accès de la cour qui pénètre, lui, sous le préau.

Dès le début du projet, notre intuition a été de poursuivre ce mouvement et de fluidifier l’imbrication des différentes strates historiques du bâtiment. Il fallait à la fois révéler et assouplir, rendre cohérent et ménager un «choc esthétique».
Si on y regarde d’un peu plus près, cette volonté d’unification et d’imbrication était déjà dans l’interprétation muséographique de Frédéric Mistral, dans sa vision de la romanité dans l’identité provençale par exemple. Tout est lié et prend presque chair dans la construction même du musée.

La majorité des architectes qui ont œuvré sur ce bâtiment depuis son ouverture en 1904 ont dût procéder à des transformations, des recalages, dans le but de lier les espaces entre eux, comme en témoignent les anciennes portes et fenêtres toujours visibles aujourd’hui. Dans notre intervention, la mise à niveau de tous les planchers entre les différents espaces a été pensée dans cet esprit et pas uniquement par souci d’accessibilité. Notre objectif est de poursuivre modestement la volonté de Frédéric Mistral : unifier l’ensemble en gardant les strates historiques plus ou moins visibles.

Le Museon Arlaten est le musée départemental d'ethnographie de la Provence. Dans quelle mesure cela influence-t-il votre travail architectural sur ce chantier ?

Pour être honnête, nous n'avons pas en tête de réaliser la rénovation du "musée de la Provence", mais plutôt de rénover un musée centenaire qui a vu le jour par la volonté d'un artiste et bénéficiant de l'attachement presque familial de la population locale.

Ceci étant dit, les clins d'œil faits aux représentations de la Provence seront fréquents. L'exemple de l'escalier monumental qui desservira l'ensemble des étages du musée est parlant.

L'idée de départ était de pouvoir se déplacer de la cour au grenier, parce qu'un musée c'est aussi cela: une grande maison à explorer. Il sera construit dans l'aile Véran (aile est du musée), dans le prolongement de ce qu'avait réalisé le premier architecte, sous la direction de Frédéric Mistral.

En effet, ce dernier avait souhaité enlever le plancher du premier étage de l'aile Véran afin de valoriser les vestiges de l'ancien forum romain. Aujourd'hui, nous enlevons la totalité des planchers, nous construisons l'escalier (qui ne permettra toutefois pas d'accéder aux vestiges pour des raisons de sécurité et de conservation), puis nous mettons en relation les différents niveaux avec des plans inclinés et des passerelles.

En concevant cet escalier, nous y avons ajouté la dimension piranésienne, avec les notions de perte de repères, de vertige et un côté labyrinthique en trois dimensions qui renforce l'idée d'imbrication des states historiques. Les parois vitrées des étages seront illustrées et témoigneront, avant même d'entrer dans les salles, de la richesse graphique présente dans les collections du musée et permettront ainsi aux usagers de se faire une représentation mentale préfigurant les objets à découvrir.

Concernant l'image d'ensemble de l'escalier, nous sommes en négociation pour un travail de collaboration avec Christian Lacroix, dont le travail de création a été fortement influencé par le Museon Arlaten. Rien n'est défini encore aujourd'hui mais nous souhaiterions une sorte de grande arlésienne un peu comme dans un dessin d' Archimboldo, composée de différents objets issus des collections du musée, et visible à travers tous les niveaux.

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Vitrine-table à surface tactile
Vitrine-table à surface tactile
La présence des nouvelles technologies dans la muséographie du Museon Arlaten rénové est incontournable. Comment avez-vous intégré les dispositifs ,numériques et tactiles qui viendront enrichir le discours sur les collections ?

Les dispositifs numériques intégrés dans ce projet de rénovation privilégient efficacité et simplicité. Il y aura des outils "conventionnels", tels que des cartels numériques tout au long du parcours, qui permettront d'apporter des informations supplémentaires sur les objets. Il y aura également des dispositifs tels que des navigateurs (écrans tactiles et orientables). Dans la cour par exemple, seront installés deux dispositifs de ce type, sous le préau et sous les arcades de l'entrée, qui permettront d'accéder à l'histoire de certaines parties du bâtiment grâce aux potentialités de la réalité augmentée.

Pour donner un exemple d'outils un peu moins répandus, nous avons prévu dans certaines séquences des vitrines-tables en verre épais d'une trentaine de centimètres, dans lesquelles seront présentés des objets. La surface du dessus sera tactile pour permettre d'accéder à des contenus supplémentaires, tout en voyant l'objet au travers.

Les dioramas ne seront pas en reste. Les dioramas créés par Frédéric Mistral (la visite à l'accouchée et la veillée calendale) seront évidemment présentés à nouveau au public, enrichis de dispositifs numériques. Certains dioramas seront "réadaptés", comme celui des couturières, inspiré du tableau de Raspal, selon Fernand Benoît. Et dans la dernière séquence contemporaine, les vitrines tactiles numériques, véritables « vitrines-dioramas », assureront la visibilité de l'objet et les recherches sur tous supports d'archives (vidéo, sonores, visuels). Le processus devient donc interactif entre l'objet lui-même, le public et toutes les ressources documentaires possibles du musée.

 

Un autre dispositif innovant sera "les fenêtres du temps". Dans la galerie Castellane, qui donne sur la cour au premier étage, les fenêtres seront équipées de grands rideaux qui filtreront la lumière, devant lesquels seront placés des écrans qui rappelleront les grands repères historiques. Cela me permet d'expliquer le concept du "musée du musée" qui soutient l'ensemble de cette future muséographie valorisant des héritages patrimoniaux.

En effet, l'objectif est de donner à voir et à comprendre l'évolution des musées de société en France, de leur création au début du xxe siècle à aujourd'hui, grâce aux reprises des présentations muséographiques des collections. L'idée est de faire comprendre au public que le choix d'une muséographie n'est pas anodin et que la façon dont elle donne à voir les objets soutient un discours, une façon de «mettre en scène» les collections, un peu comme au théâtre.

Ainsi, une attention particulière sera accordée à la muséographie mise en place par Frédéric Mistral, basée sur une accumulation d'objets, puis celle pensée par Fernand Benoît (avec le jeu de la mise en distance par les planchers de verre), puis, dans les séquences plus contemporaines, des muséographies très proches de celles réalisées à l'époque de Georges-Henri Rivière (certaines vitrines seront presque identiques à celle du musée de l'Homme, comme celle sur la transhumance). Cependant, les règles strictes de conservation préventive contemporaine seront scrupuleusement respectées puisque les objets de collections patrimoniales ne sont plus exposés aujourd'hui comme on le faisait hier.

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Simulation de plancher en verre rétro-éclairé
Simulation de plancher en verre rétro-éclairé

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