LA POUTARGUE

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Publiée le mar 18/04/2017 - 02:00 / mis à jour le lun 02/08/2021 - 02:00

"Boutargue" ou poutargue, peu importe, tout le monde se comprend. Amateurs de sensations marines, iodées et salées, vous allez adorer !

S’il est une spécialité ancrée un peu partout sur le bassin méditerranéen, c’est bien la boutargue. Non, non, il n’y a pas d’erreur, c’est bien de boutargue qu’il s’agit, une poche d’oeufs de poisson salée et séchée, que l’on recueille avec grand soin quand les femelles sont pleines. Boutargue ou poutargue, avec un b selon qu’on « parle à la provençale », avec un p pour une prononciation à la parisienne, peu importe, tout le monde se comprend. Amateurs de sensations marines, iodées et salées, vous allez adorer.

Issue en Provence du Mugil Cephalus, plus communément dénommé le mulet, la boutargue est un plaisir dont les Egyptiens dans l’Antiquité raffolaient déjà. Aujourd’hui, on la savoure de la Turquie au Portugal, de l’Algérie aux rivages grecs, où elle entre parfois dans la composition du tarama.
Les premières traces de la présence de boutargue dans la gastronomie française remontent au XVIe siècle dans les récits que Rabelais écrit des festins de Pantagruel et Gargantua. Dès le début du XVIIe siècle, Henri IV régnant encore sur le royaume, un médecin évoque « les oeufs de mulets salés et séchés comme un produit qui donne soif ». En 1770, le "Dictionnaire portatif de commerce" explique avec force détails « qu'il s'en fait à 8 lieus de Marseille, dans un lieu nommé Martegue ».

 

Désormais, la période de pêche est réglementée afin de lutter contre la raréfaction des mulets qui désertent la Méditerranée au profit de poissons d’importation, généralement des mulets de Mauritanie. Du 1er juillet à la fin du mois de février suivant, les pêcheurs capturent les poissons lorsqu’ils quittent l’étang de Berre pour rejoindre la mer, au moyen de filets horizontaux. Les femelles sont alors séparées du groupe et feront l’objet de manipulations qui, pour être faciles, n’en sont pas moins très délicates. L’opération consiste à récupérer les poches d’oeufs sans jamais déchirer la membrane qui les protège, en conservant un morceau de chair côté queue du poisson, le pècou en provençal, qui servira à suspendre la boutargue lors du séchage ou du fumage...

La vraie boutargue se compose de deux poches qui ne doivent jamais être séparées : on les rince à l’eau douce pour les nettoyer avant la mise au sel. De cette opération dépendra leur bonne conservation. Quelque 6 à 8 heures plus tard, les poches d’oeufs ont perdu le tiers de leur poids du fait de leur déshydration. Placées sur des claies de bois, en plein air, les boutargues vont mûrir en plein soleil, les arômes et saveurs se concentrer, le produit gagner en intensité. Dernière étape, et non des moindres, on les suspend encore quelques jours afin de fixer définitivement leur saveur.

A l’achat surveillez bien la couleur miellée de votre boutargue ; à l’ambre des premiers jours, succède une couleur de plus en plus foncée avec le temps jusqu’à devenir noire. Comme le bon vin, la boutargue se bonifie au fil des mois. De fabrication artisanale, elle est présentée dans sa peau naturelle ; les industriels, pour la protéger des manipulations, la plongent dans de la paraffine alimentaire qui les préserve de toute oxydation à l’air. Veillez toute fois à ce que cette couche blanche soit la plus fine possible, si votre boutargue est vendue au poids...

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La Poutargue

Le nombre de pêcheurs et de « faiseurs » de boutargue a fondu comme neige au soleil et de la vingtaine d’artisans qui faisaient les beaux jours de cette spécialité martégale, ne restent aujourd’hui que trois entreprises familiales cultivant le souvenir de gestes artisanaux. Coupée en fines tranches pour en révéler toutes les nuances, la boutargue sera débarrassée de son éventuelle gangue de cire. On la déguste posée telle quelle sur une tartine de pain beurré, on la râpe sur quelques tagliatelles ou en brouillade à la façon d’une truffe. Avec la même dévotion qu’une ostie, on la savoure à l’apéritif avec un verre de vin blanc des côtes de Provence à moins qu’une préparation en risotto ait votre préférence. Un jour de mistral, au détour d’une ruelle dans le Vieux-Martigues, vous entendrez le mistral porter les noms de Lepra ou Ortiz. Deux familles de pêcheurs, parmi les dernières, à porter un bien bel héritage...

Yves Taïeb

« Très jeune, il mangeait de la boutargue, œufs de mulet séchés, délicieux mais au goût un peu fort. Il était heureux, Yves ! »

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