La réserve naturelle de Sainte-Victoire, terre de dinosaures

Imaginez la Provence il y a 70 millions d’années. Tandis que les Alpes et Marseille sont recouverts de mer, le pays d’Aix est une langue de terre faisant partie de l'ile dite Ibérico-armoricaine qui s’étend de la Plaine des Maures dans le Var jusqu’aux Pyrénées, à la latitude du Maroc contemporain. Sur le domaine départemental de Roques-Hautes au pied de la montagne Sainte-Victoire, il règne à cette époque un climat humide avec beaucoup de fleuves et de lacs arborés de plantes tropicales. Cet environnement est favorable à la ponte des grands reptiles, tortues, crocodiles et une diversité importante de cinq à six familles de dinosaures. C’est justement dans ces méandres de rivières et dans les berges que de nombreux os et œufs de dinosaures se sont conservés. Une fois les bébés dinosaures sortis de l’œuf après l’éclosion, leur coquille se remplissait lors des crues, se recouvrant de sédiments. C’est ce processus qui a permis la fossilisation des œufs, et qui explique leur couleur rougeâtre, qui correspond à des oxydes de fer.

Au cœur des terres rouges de la Sainte-Victoire, la Réserve naturelle de Roques-Hautes est connue depuis 1947 pour son gisement paléontologique à œufs de dinosaures. C’est l’un des sites paléontologiques les plus importants en France et dans le monde, notamment de par sa superficie : plus de 140 hectares d’un sol rouge et argileux, où sont conservés ces œufs pondus à la période du Crétacé, de -145,5 millions d'années à -65,5 millions d'années. « Nous avons à Roques-Hautes un grand nombre d’endroits d’affleurements avec des fossiles, sur une surface et une profondeur énorme », observe Michel Bourrelly, directeur de la Réserve Naturelle Nationale de Sainte-Victoire. « Sur la grande épaisseur de ce gisement, on trouve de nombreux types d’œufs différents, principalement des herbivores qui se différencient par la taille et par l’épaisseur de leur coquille. »

Depuis le début des fouilles en 2010, le talus d’argile rouge sondé par les paléontologues s’est révélé une vraie mine d’or. Les chercheurs se sont rendu compte qu’en plus des centaines d’œufs de dinosaures exhumés – une spécialité de la région, à tel point qu’elle est surnommée « Eggs en Provence » par les chercheurs étrangers ! –, Roques-Hautes abrite également des ossements. Vieux de 74 millions d’années, le site a livré plusieurs dizaines d’os de rhabdodon, un dinosaure herbivore de 3 à 4 mètres de long très répandu à la fin du Crétacé.

« Ces découvertes rendent le site encore plus intéressant, car on peut à la fois faire des études sur les pontes des œufs, et des fouilles pour essayer de dégager des ossements », constate Michel Bourrelly. Ces avancées dans la recherche permettent d’expérimenter de nouvelles technologies. « Nous cartographions en 3D l’ensemble des œufs que l’on arriver à dégager, ce qui permet d’avoir une meilleure vision des processus de fossilisation et comment ils ont pu avoir lieu ». Le site a également des partenariats avec d’autres laboratoires avec lesquels ils étudient les pollens associés aux échantillons des sédiments identifiés sur place. Ceci permettra de reconstituer la flore qui était contemporaine des dinosaures

Créé en 1994, le site de Roques-Hautes est d’importance majeure : seulement 10 sites comparables ont été identifiés dans le monde. La réserve est aussi l’une des mieux conservées de la région. « Sur l’ensemble de la vallée de l’Arc, de Trets jusqu’à l’étang de Berre, nous trouvons un certain nombre de points d’affleurement paléontologiques », explique Michel Bourrelly. « Le problème est qu’ils sont très discontinus, et qu’aujourd’hui beaucoup d’entre eux ont été détériorés, contrairement au gisement de Roques-Hautes qui est protégé et ne subit aucune dégradation. »

Bien que la réserve soit inaccessible au public, un sentier d’interprétation est en cours de création par son équipe. En plus d’une reproduction de l’intérieur de la réserve pour sensibiliser les visiteurs en les informant sur la richesse du site, le sentier permettra de faire le tour de la réserve avec un certain nombre de haltes. Points d’information sur le patrimoine vivant et sur les pontes de dinosaures, lecture de paysage... ce projet devrait voir le jour à l’horizon 2022.

En attendant, des visites guidées sont régulièrement organisées tout autour, et l'espace musée de la Maison Sainte-Victoire permet de découvrir des œufs fossilisés dans sa salle d'exposition consacrée aux dinosaures