PAUL CÉZANNE

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Publiée le mer 08/02/2017 - 01:00 / mis à jour le mar 03/08/2021 - 02:00

Inventeur de la modernité en peinture, Cézanne est célébré comme il se doit dans sa ville d’Aix-en-Provence, qu’il a magnifié en œuvres. Depuis quarante ans, sa figure rythme la vie artistique régionale.

Né en 1839, Cézanne effectue toute sa scolarité à Aix où il rencontre Emile Zola. Après avoir décroché son bac de lettres, il suit le futur écrivain à Paris en 1961 : il veut être peintre.
L’expérience est décevante : Cézanne effectue des allers-retours entre la capitale et Aix, une confirmation artistique qui se refuse à lui et la banque paternelle. Il revient souvent dans le sud, peint à l’Estaque puis intègre le mouvement impressionniste. En 1886, Zola fait paraître L’Œuvre, dont la figure de peintre maudit s’inspire de son ami et de sa recherche picturale. Comme Claude Lantier, la peinture de Cézanne devient en effet de plus en plus ambitieuse : s’éloignant des petites touches de l’Impressionnisme, il s’attelle à des vues des Carrières de Bibémus et de la Sainte-Victoire, flirtant avec une forme d’abstraction... Il y loue un cabanon en 1895, la même année le marchand d’art Ambroise Vollard organise sa première exposition personnelle à Paris. Le peintre investit en 1901 un terrain dominant Aix pour y établir son atelier, où il réalisera ses grandes pièces dont Les Baigneuses, jusqu’à sa mort en 1906 au sommet de sa créativité.

Un ancêtre d’une formidable jeunesse

C’est paradoxalement au contact de sites naturels aujourd’hui bien connus de la région que Cézanne va radicaliser son propos artistique. La série de la Sainte-Victoire, dont il existe près de quatre-vingt versions, repose sur l’idée de la variation, quasiment à la même période que Claude Monet et ses Nymphéas. Une petite révolution technique permet au peintre d’affirmer son style : l’invention du tube de peinture Lefranc l’autorise à créer « sur le motif ». Dans cette synthèse picturale, Cézanne voulait "unir des courbes de femmes à des épaules de collines" en relativisant formes, perspectives et couleurs. C’est pour cette raison que, s’adressant à ses amis artistes, Picasso disait de lui qu’il était « le père de nous tous », Matisse considérait Cézanne comme le fondateur de l’art moderne. Bruno Ely, directeur du Musée Granet depuis 2008, confirme : « Cézanne a su dès 1880 dépasser l’impressionnisme, il a abandonné la petite touche juxtaposée au profit de ce que l’on qualifie de “plans colorés” qui creusent la perspective d’une manière totalement nouvelle et qui est à l’origine de la “facette” du cubisme».

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Renaissance aixoise

Si Aix-en-Provence est imprégnée de la vie et des visions artistiques de Paul Cézanne, il faudra attendre des décennies pour que sa peinture soit célébrée dans sa ville natale. Bruno Ely se rappelle : «jusque dans les années 1980, il n’y avait aucun tableau de Cézanne au Musée... Il a fallu un travail de plus de quarante ans avec mon prédécesseur Denis Coutagne, pour présenter ses œuvres. La question Cézanienne a pu être développée, au Musée Granet mais aussi sur les sites et grâce aux grandes expositions. » Les expositions prestigieuses, que la rénovation du Musée Granet de 1990 à 2005 va permettre, vont compenser l’impossibilité d’acquérir les œuvres de l’artiste, dont les prix sont inaccessibles. La méthode va porter ses fruits au-delà de toute espérance : en 2006 Cézanne en Provence attire plus de 450 000 visiteurs. «C’est l’étape qui confirme auprès des décideurs que Cézanne est un artiste essentiel pour le patrimoine et le territoire d’Aix assure Bruno Ely. Grâce à ce succès nous aurons l’occasion de collaborer avec des institutions internationales». Picasso-Cézanne en 2009 ou Le Grand Atelier du Midi l’exposition-phare de Marseille-Provence Capitale de la Culture 2013, feront la démonstration que la modernité repose en partie sur l’héritage de l’Aixois. «Le Musée Granet et la Ville d’Aix ont travaillé à ce que cette ville sans Cézanne devienne la ville de Cézanne» conclut Bruno Ely.
Aujourd’hui le parcours Cézanne guide le visiteur à travers tous les sites cézanniens, faisant une halte hors du temps à l’Atelier Cézanne. Sur la colline des Lauves, le peintre a produit le meilleur de son œuvre. Préservé depuis sa mort, l’ancienne ferme est restée en l’état : on y observe, sous la lumière douce du nord que laisse filtrer sa baie vitrée, les objets d’époque qui servaient de modèles à l’artiste et même son imperméable. Une trappe sur le côté de la bâtisse permet d’en sortir les œuvres sur-dimensionnées, telles les Grandes Baigneuses qui font la gloire des grands musées dans le monde.

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Paul Cézanne Les Baigneuses, v.1895

Cézanne aujourd’hui

Comme le proposait encore récemment l’exposition Cueco au Musée Granet, il faut toujours « Revoir Cézanne », pour la sublimation qu’il a su effectuer de l’héritage pictural classique et impressionniste : les effets visuels de ses tableaux ne sont-ils d’ailleurs pas proches du glitch des arts multimédias ? Bruno Ely : « Cézanne ouvre plusieurs portes à l’art moderne et pratiquement tous les artistes de la jeune génération se revendiqueront de lui, non seulement en Europe mais aussi aux USA. Jasper Johns est un fou de Cézanne, il a notamment réalisé une série à partir de ses Grandes Baigneuses ». Depuis 1986, loin des salles de vente et des tractations à plusieurs millions de dollars, le Victory Club, collectif d’artistes emmené par Jeffrey Greenwood et Pierre Savar propose à Aix et Marseille une approche de la Sainte-Victoire décalée, humoristique et provocatrice, en opposition avec la vision traditionaliste des provençalistes. Déceler l’influence de l’artiste n’est pas toujours aisé tant son art a infusé au XXème siècle. C’est comme lorsqu’on part gravir la Montagne Sainte-Victoire : Cézanne est partout mais on ne le voit pas forcément.

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