ENTRE BAD BOYS ET MIA, LE RAP MARSEILLAIS PARTIE 2

Lecture 5 min

Publiée le mer 08/03/2017 - 01:00 / mis à jour le mar 03/08/2021 - 02:00

Grâce aux succès d’IAM et de La Fonky Family, la ville s’est imposée comme une des capitales du rap en France. Érigé au rang de patrimoine d’une cité réputée pour son verbe fort, le rap marseillais génère de nouvelles signatures fortes en caractère : la relève répond présent.

Si la réussite hégémonique d’IAM et le hold up de la Fonky Family n’entretiennent pas l’illusion d’un rap qui serait un remède aux problèmes des quartiers, le mode de vie rap à Marseille s’impose progressivement comme un modèle dominant, s’adaptant aux codes et aux humeurs de la ville, comme dans le Belsunce Breakdown de Bouga en 2000.

Il éclaire le quotidien des quartiers défavorisés, souvent rongé par l’échec social et le trafic de drogue, mais sait aussi cultiver l’espoir d’une vie meilleure, ce que relate long-métrage Comme un aimant d’Akhénaton et Kamel Saleh en 2000. Constitué de trois rappeurs du Plan d’Aou, Soprano, Vincenzo et Alonzo, les Psy 4 de la Rime incarnent une autre facette, la jeunesse d’origine Comorienne (grande communauté de la mosaïque marseillaise) ghettoïsée aux confins des quartiers Nord. La réponse du public est immédiate et, de 2002 à 2013, leurs quatre albums se vendent à 450 000 exemplaires : avec ses accents gangsta, le trio n’hésite pas à emprunter des refrains à la variété (comme Le Monde est Stone de Michel Berger) et à faire des clins d’œil à la naïveté de l’enfance (avec un petit coup de pouce de la star du foot Franck Ribery dans ses clips).

Psy 4 de la Rime - Les cités d'Or

Tandis qu’au fil du temps, son leader Soprano enchaîne les disques d’or avec ses parutions en solo (près de 500 000 exemplaires cumulés) et remplira un Stade Vélodrome le 7 octobre 2017 en revendiquant son statut de star de la « pop urbaine », d’autre signatures montent dans la hiérarchie. Avec vingt cinq ans d’histoires et plus de dix millions d’albums vendus, le rap marseillais n’a pas encore délivré sa dernière rime.

En 2013, le livre-bilan «MA.R.S., Histoires et légendes du hip hop marseillais» de Julien Valnet (édition WildProject) montre comment il a constamment, à la manière d’une prise de judo, renversé les défauts avec lequel on le stigmatisait pour en tirer sa force. Cette somme permet d’inventorier toute la richesse d’un rap local qui a su engendrer des talents aussi différents que Karkan qui élabore un rap chaleureux (son MC Ysae livrera un album solo acoustique aux sonorités jazz en 2011 ou Ahmada Smis et son rap empreint de mysticisme et de quête des origines.

 

Pasionara altermondialiste Keny Arkana s’est, elle, forgée une conscience sociale en grandissant dans les foyers du centre-ville. Cette rappeuse militante réalise l’exploit, dans un univers souvent misogyne et égocentré, de transmettre un message d’engagement pour un monde plus juste grâce au soutien de réseaux alternatifs, tout en vendant des dizaines de milliers d’exemplaires de ses albums, à défaut de squatter les médias commerciaux.

Keny Arkana - Marseille feat. Kalash l'1Afro & RPZ (Clip officiel)

Au tournant des années 2010, la multiplication des plateformes de streaming gratuit et l’amplification des réseaux sociaux libère la parole d’un rap auparavant cantonné à l’underground qui ne s’impose plus de limites dans la célébration d’un mode de vie flirtant délibérément avec la délinquance, dans la lignée d’un Booba. Artistiquement, cette voie représente à la fois un défaut (sa dimension amorale) et une qualité (l’effet microscope sur un univers marginalisé). Une constante demeure : Marseille continue de faire vendre. Lacrim comptabilise trois disques d’or alors qu’il est recherché par la police voire incarcéré... Apparu pour la première fois sur un morceau de ce dernier, SCH est signé sur le label américain Def Jam et transforme l’essai avec deux disques d’or pour ses deux premières sorties. Dans la même veine l’incontournable Jul signe en 2013 avec Cross volé le track de référence de cette nouvelle école où la voix auto-tunée se généralise, truffée de paroles explicites : 600 millions de vues sur Youtube plus tard, il remplit plusieurs zéniths à Paris fin 2016.

Déjouant les clichés faciles d’une ville sous l’emprise des mauvais garçons et d’une délinquance qui serait la seule option, d’autres signatures imposent un rap plus novateur. Le Ach’ réintroduit de la poésie dans un univers urbain sombre, le rappeur au flow traînant originaire de La Castellane (cité qui a vu naître Zidane) y loue les paradoxes de cette ville où on subit « plus de plomb que de pluie ».

Dans les raps de La Méthode tout n’est que rebondissements et changement de rythmes, dans la lignée talentueuse de Saïan Supa Crew. Avec ce sens démesuré du fun, l’esprit positif du hip hop est bien gardé : B.Za, K-Meleon et Darkness ont livré un attendu premier album Adrénaline à l’automne 2016. Très créatifs eux aussi, les membres d’Under Kontrol se consacrent au beatboxing, cette discipline qui consiste à produire des instruments uniquement avec sa voix. Le quatuor composé de deux Marseillais, d’un Lyonnais et d’un Parisien a été champions du monde de beatboxing en 2009 et la formule, plus propice à la scène (ils ont été invités à Jazz à Vienne en 2015) est aussi écoutable sur album (leur 1 sorti en 2011 sur le label électro IOT Records).

Lié à la scène électronique et à la frange la plus novatrice du hip hop hexagonal, Wapi Wap distille son humour et ses observations sociales décalées avec son premier album Totem en 2014. Enfin dans la même catégorie des aliens, notons l’inclassable Iraka, avec son rap plus intellectuel posant un regard exigeant sur la société, à contre-courant des postures misogynes, n’hésitant pas à tourner le clip de son Rainbow en pleine gay pride pour son album paraissant début 2017. L’artiste déclarait récemment dans La Nuit Magazine : « à Marseille, il demeure une grande culture Hip-Hop de fond, même chez les plus jeunes, d’où qu’ils soient. Je suis toujours frappé, lorsque je mène des ateliers d’écriture par ici, de voir à quel point les jeunes sont passionnés par le rap et sa pratique. ». Un témoignage qui confirme que la culture de terrain, potentiel d’attraction du rap de Marseille, et donc son avenir, est toujours vivace

Articles les + lus