ENTRE BAD BOYS ET MIA, LE RAP MARSEILLAIS PARTIE 1

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Publiée le mer 08/03/2017 - 01:00 / mis à jour le mar 03/08/2021 - 02:00

À travers les succès consécutifs d’IAM, La Fonky Family, les Psy 4 de la Rime ou encore Jul, la ville s’impose comme une des capitales du rap en France. Un véritable patrimoine pour une cité réputée pour son verbe fort. Mais comment cette culture s’est-elle implantée à Marseille et grâce à qui ?

Écouter du rap marseillais, c’est réaliser une expérience d’immersion dans la ville, aborder sa réalité à travers les voix qui la représentent. Marseille a été créée sous le signe du déracinement par des grecs d’Asie mineure qui ont fui leur pays en 2600 avant notre ère. La plus ancienne ville d’Europe n’a jamais cessé de revendiquer une identité autonome, érigée sur cette exception culturelle : le rap phocéen est lui aussi porté par ce phénomène immémorial.

Une musique qui s’impose grâce à ses différences

Le grand avantage du rap marseillais est d’avoir trouvé d’emblée son maître étalon : IAM. Leaders d’opinion dès son premier album Concept (sorti sur K7 en 1990), le groupe est le symbole vivant de ces richesses débarquées de tous temps sur le Vieux Port : en effet dès 1979, les marins de l’USS Forrestal firent connaître les premiers titres rap made in New York à ceux qui devinrent les premiers B-Boys* marseillais.

Épaulés par l’architecte musical Imhotep, inspiré par le foisonnement musical du hip hop new yorkais, les voix de Shurik’n et Akhenaton imposent une musique nourrie de revendications culturelles et imprégnée de lutte de droits civiques. Face à des groupes français qui peinent à se démarquer de l’exemple anglo-saxon, le rap marseillais s’impose d’abord grâce à ses différences. De la planète Mars (1991) enfonce le clou et alimente les codes du melting pot marseillais, contribuant largement à la renaissance culturelle de la ville dans les années 90.

*abréviation de “bad boys”, terme utilisé par les premiers rappeurs pour qualifier les acteurs du mouvement.

 

Dans cette brèche s’engouffrent des groupes frères comme Uptown (dont un des MC’s, N°7 alias Mourad Mahdjoubi est aujourd’hui avocat au Barreau de Marseille), Soul Swing (avec Faf, frère de Shurik’n, talentueux rappeur qui sous le nom de Faf Larage livrera plus tard Pas le temps, titre officiel de la série Prison Break qui deviendra N°1 et disque de platine en 2006), 3ème Œil ou une formation plus souterraine comme les B Vice à La Savine. Da MayorPuissance NordCarré RougeProdige Namor… Une myriade d’artistes et de groupes, boostée par le succès des grands frères, donne ses premiers concerts au Centre Culturel Mirabeau, au Café Julien, à la Friche Belle-de-Mai (où répète alors IAM) lors du festival Logique Hip Hop créé par l’AMI (qui organise toujours un Village hip hop en septembre) ou au café musiques L’Affranchi à Saint-Marcel (seule SMAC de France 100 % hip hop depuis 1993).

Ce qui marque les esprits, c’est aussi que le rap local dépasse les clichés d’une culture naissante souvent encline à l’échelle nationale à une certaine négativité, pour transmettre un message positif et parfois ludique, comme en témoigne un titre qui va faire basculer le gentil particularisme local en succès de masse.

IAM - Je danse le MIA (Clip officiel)

Je Danse Le Mia, glorification amusée du nervi flambeur à la chemise ouverte et chaîne en or au cou, bénéficie d’un succès-surprise renversant (650 000 exemplaires). Cette pochade sur fond de funk peut s’entendre comme le portrait amoureux d’une ville résolument « pas pareille », détaillée dans le double album Ombre est Lumière (paru en 1993) dont l’image commence à s’exporter : dans Le Feu, on entend les échos vainqueurs du Stade Vélodrome tandis que l’Olympique de Marseille gagne la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Invité sur les plateaux TV de talk-shows, le groupe s’ingénie à déjouer les clichés du provincial jovial pour faire entendre les voix d’une cité millénaire, multiple et qui entend faire respecter ses spécificités culturelles.

 

L’école du micro d’argent

En 1997, L’école du micro d’argent, toujours réaliste mais aussi plus mystique, approfondit encore le registre d’IAM, premier groupe hexagonal à inviter des artistes américains en featuring (la vieille tradition méditerranéenne de l’accueil). Demain c’est loin, titre-coup de poing dénué de refrain sur les quartiers paupérisés, est aujourd’hui considéré comme LE classique du rap français.

La même année, une autre équipe majeure entre dans la danse après avoir réalisé l’entrée en matière parfaite sur le single-carte de visite d’Akhenaton Bad Boys de Marseille (issu de l’album solo Métèque et Mat en 1995) : La Fonky Family déboule des quartiers du Panier et de Belsunce avec son premier long format Si Dieu Veut, contribuant avec quelques expressions hautes en couleurs (rhéné, estrasses, taquiner…) à relever le vocabulaire rapologique hexagonal.

Akhenaton - Bad Boys de Marseille

S’il y a une smala du Panier qui sait prendre le pouls de la ville, c’est bien Karima, Le Rat Luciano, Don Choa, Sat, Menzo, Djel et Pone, avec toute la force de sa jeunesse. Avec Art de Rue(2001) et Marginale Musique (2006) plus quelques albums solo (dont celui du Rat, considéré par les connaisseurs comme un des meilleurs rappeurs français), la bande va imprimer une nouvelle étape, bien distincte de l’école IAM : un rap à hauteur de bitume, désabusé mais résolu à faire entendre sa voix, qui parle sans filtre aux plus jeunes.

À partir de 1998, la saga Taxi produite par Luc Besson permet d’ajouter le son à l’image dans cette nouvelle perception de Marseille, plus glamour et fréquentable malgré la persistance de lourds problèmes urbains et sociaux qui déchirent la ville, comme en témoigne l’assassinat d’Ibrahim Ali, rappeur de B-Vice par un militant du Front National en février 1995. Tournée dans les rues de la ville par Gérard Krawczyk, les deux premiers volets (près de 17 millions d’entrées cumulées en France) bénéficient d’une bande-son constituée de titres collectés par Akhenaton autour de signatures rap majoritairement marseillaises. Les maisons de disques et d’édition d’AKhénaton (La Cosca, Al-Khemya), d’Imhotep (Kif-kif) ou de Kheops (Sad Hill) permettent de valoriser la scène locale, dont de nouveaux joyaux.

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