Anne Marie Filaire, la possibilité des images
4 mars au 29 mai 2017

Anne-Marie Filaire construit depuis plus de vingt ans une oeuvre dense, engagée, rigoureuse, monumentale. Ses premières séries réalisées en terre maternelle auvergnate dans les années 90 l’ouvrent à la question du paysage et l’emmènent vers une quête personnelle et photographique au long cours.
Dès 1999, elle se tourne vers les territoires du Proche-Orient et de l’Afrique de l’Est. Israël Palestine, Liban, Erythrée, Yémen seront pendant plus de dix ans le terrain de ses investigations.
Dans ce déplacement vers les zones les plus éloignées, elle déploie son regard face à l’immensité universelle de territoires chargés d’histoire. Attentive aux cicatrices d’un temps infini qui a fait ravage, elle prélève les signes en quête d’indices inscrits en creux. Les images manquantes qu’elle rapporte nous interpellent sur la possibilité de représenter des espaces irreprésentables, frontières, zones de contact et de séparation, entre-deux dont elle livre la mémoire et la trace.

Mais comment rendre compte de la réalité d’un paysage, lorsqu’il est malmené par les soubresauts de guerres identitaires, territoriales, économiques interminables ? Comment appréhender les stigmates du passé face à une histoire contemporaine en train de s’écrire ?
Anne-Marie Filaire n’est pas seulement observatrice des territoires qui la préoccupent. Engagée dans un travail de terrain, sans jamais renoncer face aux risques qu’engage une telle entreprise, elle fait naitre de cette expérience dans la limite sa relation intime au paysage. Par le dispositif même de la prise de vue, la position et la rigueur qu’elle impose à ses images, le regard se construit dans toute sa sévérité et sa vérité.
Dans ce mouvement permanent entre le temps et l’espace, entre l’Histoire et le présent, bruit une sourde violence. Loin de l’instant aveuglant des conflits, les horizons lointains rencontrent l’enfermement de situations politiques inextricables.
Anne-Marie Filaire nous offre dès lors sa propre monnaie d’échange. Celle de la possibilité des images, et en cela une possibilité d’existence à des territoires invisibles.

© N.Ammirati

© N.Ammirati
Israël—Palestine, 1999—2007

"Je suis venue pour la première fois à Jérusalem en juillet 1999. C’est là que je voulais commencer mes recherches au Moyen- Orient, dans ce lieu où se croisent l’espace et le temps. J’ai voulu appréhender cette cité indépendamment d’aucune foi ou croyance en un texte écrit, mais comme la perception visuelle d’un ordre urbain unique, cherchant à la ressentir plutôt qu’à la décrire. Me déplaçant constamment dans Jérusalem et ses environs, j’ai pu lire dans le paysage les premières traces de l’occupation autour de la ville. C’était un peu plus d’un an avant la seconde intifada. Et puis je me suis éloignée de Jérusalem, j’avais besoin de la voir de loin, de m’en écarter. J’ai loué une voiture et rejoint Jéricho, puis Gaza, où je suis restée seule pendant trois jours. De cette période, dans ma photographie, les traces restent celles de cet écart, de cette frontière, de cet entre-deux possible. Gaza aura été l’image la plus forte, la plus éprouvante de ce voyage, celle qui reste pour moi aujourd’hui inaccessible et manquante et qui bouleverse la perception de l’espace et du temps.

Je suis revenue en 2004. Année témoin de la fin du règne de Yasser Arafat et de la construction du mur, correspond à un moment de tension extrême. Le contact était rompu entre les populations et je me trouvais confrontée à une rupture continuelle dans le paysage. L’enfermement se matérialisait sous mes yeux. J’ai travaillé dans une itinérance entre les lieux et les gens, passant d’un monde à l’autre.
Jusqu’en 2007, je photographiais à nouveau les mêmes lieux pour enregistrer leurs mouvements et leurs transformations, pour trouver des repères. C’est à ce moment-là que mes photographies sont devenues des panoramas. Travailler dans ces territoires m’aura demandé de m’installer dans la durée. La rencontre avec cette violence et la nécessité d’en témoigner."
« Dans ma photographie, le paysage n’est pas une continuité, mais une accumulation. Une accumulation de temps, de moments. »
Yémen—Erythrée, 2000—2005

"Parallèlement, j’ai voyagé dans d’autres pays du Moyen Orient comme le Yémen, en 2000, 2001, 2003 et 2005. Au départ, ce qui motivait mon envie d’aller au Yémen était de découvrir un pays caché, fermé aux yeux du monde. Ce pays où dans les textes fondateurs se situe le Paradis terrestre. Voyager au Yémen, c’est faire un bon dans le temps.
Suite aux événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l’un de mes vols pour le Yémen fut suspendu. J’ai donc pris la décision très rapide de partir en Erythrée. Je suis partie à Asmara le 19 septembre 2001 pour un voyage de deux mois entre l’Erythrée et le Yémen. Mon travail s’est donc situé entre ces deux pays proches géographiquement.
Lors de mon premier passage à Assab pour traverser la Zone de Sécurité Temporaire, cette zone frontière de 25 kilomètres de large entièrement minée et encore sous tension, je n’ai pas pu y pénétrer et j’ai été refoulée au km 44, bien qu’accompagnée par l’officier responsable des affaires politiques et de deux soldats kényans. La situation politique était à ce moment difficile et la semaine précédente, 10 journalistes de la presse indépendante s’étaient fait arrêter et emprisonner. Je suis revenue les 12 et 13 novembre munie d’une carte de presse prêtée par les Nations Unies. J’ai pu à ce moment pénétrer dans cet espace où j’ai réalisé une centaine d’images."
Beyrouth banlieue Sud—Sud-Liban, 2006

"Le 12 juillet 2006, le Hezbollah libanais a enlevé deux militaires israéliens dans la zone frontalière dans le but d’obtenir un échange de prisonniers. Le jour même, Israël lançait une offensive sur tout le Liban et détruisait le sud du pays, Baalbeck, et le quartier de Dahiyeh à Beyrouth.
J’ai rejoint le Liban dans cette période particulière de l’aprèsguerre, je voulais voir les conséquences de ce geste et chercher à comprendre. Mon travail s’est déroulé lors d’une phase de transition, de la fin de la guerre avec la grande fête du Hezbollah et le discours de Nasrallah dans la banlieue sud de Beyrouth, puis l’arrivée des différents contingents des Nations Unies, le retrait de l’armée israélienne et le déploiement de l’armée libanaise au sud Liban."
Frontière Jordano-Syrienne, 2014

"Les photographies du camp de réfugiés syriens d’Azraq, situé en plein désert au nord de la Jordanie viennent clore mon parcours dans ces régions du Monde. Elles ont été réalisées en juin 2014 alors que la Syrie venait de fermer complètement sa frontière.»
"Le camp de réfugiés d’Azraq en Jordanie s’est ouvert en 2014 dans la perspective de recevoir plus de quinze mille personnes. Flambant neuf, il accueille les premiers réfugiés venus de Syrie lorsqu’Anne-Marie Filaire s’y rend. Un lieu de survie vierge, mais dont le plan conçu à l’avance ordonne la vie et ses comportements. Un lieu temporaire conçu pour durer. » Géraldine Bloch
Entretien avec Anne-Marie Filaire
En quoi votre travail diffère-t-il de celui d’un photojournaliste ou d’un reporter de guerre ?

Je n’allais pas chercher des situations de pays en guerre, j’allais voir des paysages, des pays désertiques qui me parlaient, qui semblaient répondre à des questions que je me posais sur le sens que j’avais donné à ma vie. Une sorte de page blanche pour comprendre en dehors des personnes, des conflits, de tout ce qui m’embarrassait.
Je suis artiste et j’évolue parfois sur le même terrain que les médias – des zones en situation de guerre -, mais je ne travaille pas dans le même temps, je m’installe dans la durée alors que les journalistes relaient l’information de façon immédiate. Je n’ai pas d’obligation de restitution. Si la démarche est différente, c’est pourtant la presse, Libération, qui a relayé en premier mes travaux, c’est la dimension politique qui les a intéressés. Avant d’aller sur le terrain, il y a du travail, des préparatifs, et les images que je réalise sont extrêmement construites. La lumière et la violence sont la beauté que je suis venue chercher.
De la beauté… dans ces lieux hostiles ?
Si la beauté exorcise la violence, c’est ça que j’ai voulu photographier.
Le temps est un aspect fondamental de votre travail. On le voit, notamment, dans votre série réalisée entre 2004 et 2007 à Jérusalem…
Lors de la construction du mur à Jérusalem, je suis venue sur place régulièrement, pendant trois ans, pour faire des relevés de terrain, photographier les lieux de façon récurrente, et documenter cette période où l’espace s’est fermé. Je me suis installée dans le temps. Pour rappel, ce travail technique d’observation, je le faisais déjà pour la Mission de l’Observatoire photographique du paysage en France. La construction du mur représentait bien la mesure de la souffrance, d’une marque indélébile.
Pourquoi cette fascination pour les frontières ?
La frontière c’est savoir ce qui m’appartient, ce qui ne m’appartient pas, là où est ma place et là où elle ne l’est pas.
Infos pratiques
Mucem - Fort Saint Jean
T 04 84 35 13 13 — De 9h à 18h 7 j / 7
Billets Mucem Expositions permanentes et temporaires 9,5€ / 5€ (valable pour la journée)
Billet famille Expositions permanentes et temporaires 14€
Ouvert tous les jours sauf le mardi
De 11h à 18h : mars—avril
De 11h à 19h : mai
Nocturne le vendredi jusqu’à 22h : à partir du 5 mai
Nathalie Ammirati
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